Analyse de la résistance aux insecticides des populations d’Aedes aegypti et d’Aedes albopictus (Diptera : Culicidea), vecteurs d’arboviroses au Cameroun
L’objectif assigné à ce travail fut d’analyser la résistance aux insecticides des populations d’Aedes aegypti et d’Aedes albopictus, vecteurs d’arbovirus au Cameroun.
Dr. Aurélie Yougang en pleine collecte des larves de moustiques
Des observations aux évidences
Les résultats de cette étude menée pendant 4 ans dans le cadre de la thèse de Doctorat du Dr Aurelie Yougang, montrent que le profil de résistance d’Aedes aegypti et d’Aedes albopictus varie considérablement en fonction des insecticides, de l’espèce et de la provenance des échantillons testés. De manière globale, les bio-essais adultes ont révélé la résistance à la perméthrine 0,25%, à la deltaméthrine 0,05%, au bendiocarbe 0,1%, au propoxur 0,1% et au DDT 4% chez les deux espèces. Cependant, une sensibilité totale a été observée chez tous les échantillons testés au fénitrothion. Les tests larvaires avec le téméphos et le Bacillus thuringensis israelensis (Bti) ont révélé que tous les échantillons testés étaient sensibles à ces deux larvicides. Cette sensibilité totale observée d’une part au téméphos et au Bti pour les larves et d’autre part au fénitrothion pour les adultes suggère que, ces deux larvicides peuvent être utilisés dans la lutte ciblant les stades larvaires, tandis que le fénitrothion pourrait être utilisé dans la lutte contre les adultes.
D’un autre côté, la restauration partielle ou complète de la résistance après une préexposition des moustiques aux synergistes piperonyl butoxide (PBO) et diéthyl maléate (DEM) suggèrent l’implication des monooxygénases à cytochrome P450 et des glutathion-s-s transférases dans la résistance métabolique de ces échantillons. Le gène CYP6P12 s’est révélé être significativement surexprimé chez les échantillons d’Ae. albopictus provenant de Bertoua et de Bafang. Par contre chez Ae. aegypti aucun des gènes testés ne s’est révélé significativement exprimé. Néanmoins, la mutation F1534C a été détectée dans les populations d’Ae. aegypti d’Edéa et de Douala. La faible fréquence de cette mutation suggère une introduction récente de cette mutation au sein de la population d’Ae. aegypti du Cameroun. La résistance aux insecticides étant un phénomène dynamique susceptible de varier avec le temps. Il serait important de poursuivre l’évaluation du statut de la sensibilité des vecteurs d’arboviroses aux insecticides dans le temps afin de déceler tout changement. De plus, la variation du profil de résistance en fonction des localités donne l’occasion de concevoir un programme national de contrôle des vecteurs d’arbovirus qui prend en compte la spécificité de chaque localité. La distribution localisée de la mutation kdr F1534C soutient cette stratégie de contrôle spécifique à la région.
Avis aux pouvoirs publics et aux chercheurs
À l’issue de ces travaux, au vu des évidences obtenues, Dr Aurelie Yougang, interpelle les pouvoirs publics à la mise en place des programmes de surveillance et de contrôle des vecteurs d’arbovirus. De tels programmes devant inclure des actions visant à l’amélioration des systèmes d’adduction d’eau, à l’assainissement du milieu et à l’éducation sanitaire et en cas d’urgence épidémique à une utilisation d’insecticides en tenant compte des spécificités de chaque localité.
De plus, l’efficacité des insecticides pouvant être limitée par l’apparition de phénomènes de résistance, il est également important de mettre sur pied des outils de surveillance et de contrôle pérenne pour gérer la résistance.
Moments forts de la soutenance
Une démarche scientifique rigoureuse
Pour atteindre cet objectif, nous avons d’abord évalué le profil de résistance aux différentes classes d’insecticides des différentes populations d’Ae. aegypti et d’Ae. albopictus du Cameroun ; par la suite, nous avons recherché les mécanismes impliqués dans la résistance métabolique aux insecticides et enfin, nous avons investigué sur les mécanismes de résistance impliqués dans la résistance aux insecticides par modification de cible.
Depuis le début du 20ème siècle, les maladies à transmission vectorielle sont au premier plan, car elles constituent la première cause de mortalité parmi les maladies infectieuses de tous les arthropodes vecteurs, les moustiques sont de loin les plus concernés et les plus redoutables, car ils sont vecteurs de nombreux agents pathogènes à l’instar des arbovirus tels que les virus de la fièvre jaune, de la dengue, du chikungunya, du Zika, etc…
Compte tenu de l’absence actuelle de vaccins et de médicaments spécifiques contre la plupart de ces infections à arbovirus, le seul moyen d’enrayer, voire de prévenir les épidémies reste la lutte anti-vectorielle. Cette lutte est basée essentiellement sur la
destruction des gîtes larvaires et l’utilisation des insecticides, notamment les larvicides contre les stades immatures et adulticides en situation d’urgence. Cependant, les
travaux réalisés dans différents pays à travers le monde ont montré que les populations de vecteurs étaient résistantes à toutes les familles d’insecticides connues avec des niveaux variables d’un pays à l’autre. Face à l’émergence de la résistance d’Aedes à toutes les classes d’insecticides utilisées en santé publique, les efforts de lutte pourraient être compromis. Pour faire face à une telle situation, il est nécessaire d’évaluer régulièrement la distribution de la résistance ainsi que les mécanismes de résistance impliqués.