Organisé par le Programme National de Lutte contre le Paludisme (PNLP) et le Centre for Research in Infectious Diseases (CRID), le Symposium scientifique de la 15ème édition de la journée mondiale du paludisme s’est tenue à l’hôtel Franco de Yaoundé le 05 Mai 2022.
Cette rencontre se déroule dans la salle de conférence de l’Hôtel Franco. Elle réunit les acteurs de divers domaines de la recherche sur le paludisme. « Défis et leviers vers l’élimination du paludisme » est le thème associé à cet évènement. La cérémonie d’ouverture de ce symposium a été présidée par Madame Ashu Dorothy, Secrétaire permanent du PNLP. Ledit Congrès s’est déroulé en trois principales sessions scientifiques organisées en sous-thèmes.
Contrôle des vecteurs
Cette session, a été modérée par les professeurs Josiane Etang (Oceac, Université de Douala) et Nsango Sandrine Eveline (Centre pasteur, Université de Douala). 04 orateurs ont exposé durant cette phase. Elle commence avec le Pr Wondji Charles (Centre for Research in Infectious Diseases, Liverpool School of Tropical Medicine) qui a effectué une présentation portant sur la résistance des vecteurs du paludisme aux insecticides. Il a passé en revue les facteurs responsables de la résistance et les différents mécanismes de résistance avec une emphase sur la résistance métabolique. Son équipe et lui ont mis en évidence plusieurs marqueurs moléculaires de la résistance métabolique qui peuvent aider à évaluer l’impact de ce type de résistance sur l’efficacité des outils de lutte antivectorielle. Il termine son propos en recommandant l’usage des nouveaux insecticides avec des modes d’action différents soit en imprégnation dans les moustiquaires à l’instar du Chlorfenapyr, soit en pulvérisation comme la Clothianidine. Ces molécules pouvant être utilisées seules ou encore en combinaison avec un Pyréthrinoïde.
Le Dr Tchouakui Magellan chercheur au CRID, a présenté la résistance étendue des vecteurs aux Pyréthrinoïdes comme un obstacle majeur à la lutte antivectorielle. Pour pallier cela, des nouvelles générations de moustiquaires sont en cours d’expérimentation utilisant notamment les Pyréthrinoïdes en combinaison avec le Piperonyl butoxide (olyset Plus®), le Chlorfenapyr (interceptor G2®) et le Pyriproxyfène (Royal Guard®). Dans son étude, ses collaborateurs et lui ont testé l’efficacité de ces moustiquaires de nouvelle génération dans différentes localités du Cameroun en prélude à la prochaine campagne de distribution gratuite des moustiquaires imprégnées. D’après ses résultats, ces nouvelles générations de moustiquaires sont efficaces même après plusieurs lavages tandis que les moustiquaires imprégnées uniquement de Pyréthrinoïde sont dans un processus progressif de perte d’efficacité. Toutefois, il recommande d’évaluer l’efficacité des moustiquaires avant de les déployer dans une région donnée, car la résistance est diversifiée et dynamique.
Le Dr Fondjo Etienne (PMI Vectorlink) a fait état du profil de résistance des vecteurs aux insecticides dans dix sites sentinelles du pays. Les résultats ont confirmé une résistance aux Pyréthrinoïdes et au Pirimiphos-methyl dans tous les sites tandis que celle au Bendiocarb a été observée dans six sites. Les tests ont révélé une sensibilité à la Clothianidine, au Chlorfenapyr qui sont de nouveaux insecticides. Selon lui, ces résultats permettraient d’orienter les décisions du PNLP sur le type de moustiquaire à distribuer et le développement des stratégies de lutte intégrée.
Dr Antonio Nkondjio (OCEAC) a présenté la lutte anti-larvaire (LAL) comme un outil prometteur pour contrôler le paludisme. En combinaison aux outils de lutte existants, la LAL vient combler les limites de ces derniers. Il a conduit un programme de LAL à base d’un larvicide biologique dans la ville de Yaoundé au cours duquel il a ressorti la distribution des gîtes larvaires à anophèles et obtenu une réduction de 73,13 % des larves d’anophèles à la suite de l’intervention. Selon ses travaux, la LAL serait un complément adéquat pour renforcer l’efficacité des autres outils de lutte déjà en place. Il a conclu en présentant les challenges relevés lors de l’intervention qui pourraient être bénéfiques pour les communautés. Dr Mugenzi Leon (CRID) a développé les nouveaux moyens de lutte mis sur pied en complément aux outils de lutte déjà existants. Il a présenté tour à tour les nouvelles générations d’insecticides pour combattre la résistance, l’utilisation des pièges à l’extérieur ou l’intérieur des habitations ou « Attractive Toxic Sugar Baits » en anglais, pour lutter contre les vecteurs endophiles et, ou endophages. Il a également présenté l’utilisation des endectocides comme autre possibilité, ces derniers agissent sur les moustiques qui piquent les individus ayant pris cet endectocide. Parlant de ce dernier, celui qui a été développé jusqu’ici et ayant été testé est l’ivermectine. D’autres méthodes telles que le « Gene drive » ou l’utilisation des drones peuvent également être déployées dans un ultime but de contrôler les vecteurs.
Chimioprevention et prise en charge du paludisme
Cette session a connu 05 interventions. Elle a été modérée par les professeurs Njiokou Flobert (PIIVEC, Université de Yaoundé I) et Mbacham Wilfried (Centre biotechnologique, Université de Yaoundé I). Dr Ateba Joel du PNLP a évoqué le Traitement préventif intermittent du paludisme en grossesse (TPIg) au Cameroun. En prélude à la présentation des résultats, il a fait état de la situation du paludisme chez la femme enceinte et a mentionné que le TPIg consistait en la prise de la Sulfadoxine-pyriméthamine de façon périodique à partir du 2ème trimestre de grossesse afin de prévenir l’infection palustre. Les résultats présentés montrent que malgré la mise en œuvre de cette politique de santé, l’incidence palustre en grossesse reste élevée ainsi que la proportion des cas graves. Il souligne donc la nécessité de l’amélioration de la couverture en TPI en palliant la faible fréquentation des femmes enceintes en consultation prénatale au travers des campagnes de sensibilisation par exemple.
Le Dr Mukamba Jean (Impact Malaria, PMI) a fait état de l’impact et des perspectives de la Chimioprévention du paludisme saisonnier (CPS) dans le Nord et l’Extrême Nord du Cameroun. Il a présenté la CPS comme l’administration d’une dose de Sulfadoxine-Pyriméthamine et de trois doses d’Amodiaquine en 3 jours aux enfants de moins de cinq ans à partir du début de la saison de transmission. Il a relevé un taux de couverture de 91,8% en 2021, conduisant à une baisse de la morbidité et de la mortalité dans ces régions. Durant sa prise de parole, il a souligné la nécessité d’identifier des interventions pouvant améliorer cet impact des CPS notamment les activités de renforcement des capacités des prestataires de soins. La difficulté majeure de cette intervention selon ses propos est la difficulté d’observer les 28 jours d’intervalle entre deux doses. Il importe donc de planifier et d’exécuter des études d’efficacité thérapeutique de la CPS et de renforcer la participation des communautés locales.
Dr Doroty Achu a présenté les politiques à adopter pour introduire le Traitement préventif intermittent (TPI) chez les enfants au Cameroun. Au début de son propos, elle a présenté tour à tour la charge élevée du paludisme au sein de la population des enfants de moins de 5 ans avec 40% des cas de paludisme et 64 % des cas de décès ; les régions impaludées au Cameroun et les différentes stratégies de contrôle déployées par le PNLP. Elle préconise le TPI des enfants de 03 à 59 mois dans toutes les régions du pays. Pour cela, plusieurs paramètres doivent être considérés. La Secrétaire permanente du PNLP précise que l’intégration du TPI dans les campagnes élargies de vaccination pour atteindre un impact élevé et les challenges liés au déploiement à grande échelle de cette intervention doivent être pris en compte. Pour sa part, Pr Mbacham Wilfried a présenté les données actualisées sur l’efficacité thérapeutique des combinaisons à base d’Artémisinine et le métabolisme de ces antipaludéens chez l’Homme. Malgré l’introduction des combinaisons thérapeutiques dans la politique de santé, il apparait que les populations continuent à utiliser les monothérapies comme la Chloroquine. Il a conduit des études permettant d’évaluer l’évolution des marqueurs de résistance impliqués dans la résistance à ces monothérapies en comparaison à la combinaison thérapeutique à base d’Artémisinine (ACT). Il a relevé l’évidence de la clairance parasitaire et Gamétocytaire chez les individus ayant pris les ACT. Il conclut en présentant les différentes réactions métaboliques chez l’Homme suite à la prise de ces anti-malariques.
Il est suivi par Pr Jude Bigoga (Centre biotechnologique, Université de Yaoundé I) qui, pour sa part a présenté les résultats des essais cliniques du Pyramax, anti-malarique à base d’Artesunate et de Pyronaridine. Ces essais cliniques des phases I à IV ont relevé une très grande efficacité du produit au 28ème jour contre tous les parasites ; oscillant 97,6-99,9 % chez Plasmodium falciparum et 96,3-99,2% chez Plasmodium vivax, Plasmodium ovale et Plasmodium malariae. Ce composé a également prouvé une bonne tolérabilité, à la suite des études de toxicité hépatique soutenant ainsi la large utilisation du Pyramax pour le traitement en 1ère ou 2ème ligne des cas de paludisme simple dans les zones endémiques. La deuxième session sur Chimioprevention et prise en charge du paludisme a été modérée par le Dr Basile Kamgang (CRID) et Pr Jude Bigoga (Centre biotechnologique). A l’entame, Pr Eboumbou Carole (Université de Douala, CPC) a relevé les facteurs qui affectent l’efficacité des anti-malariques entre autres l’automédication, la circulation des faux médicaments, les infections asymptomatiques et submicroscopiques, la chimiorésistance puis les outils disponibles pour surveiller celle-ci. Elle a également présenté une distribution des mutations associées à l’artemisinine se trouvant sur le gene Pf K 13. A sa suite, Dr Ayong Lawrence (CPC) a axé son intervention sur les différentes techniques de diagnostic existantes ; entre autres le diagnostic clinique, parasitologique et immunologique et les sources du manque de précision des Tests de diagnostic rapide (TDRs). Il a aussi présenté les politiques de diagnostic du paludisme définies par l’OMS et les différentes méthodes de diagnostic. Il en ressort que la microscopie et les TDRs sont les méthodes de diagnostic recommendées pour la gestion des cas. Nkemngo Francis (CRID) a montré comment on peut utiliser les moustiques pour suivre la résistance aux antipaludiques chez les humains.
Communication pour le changement de comportement
Durant cette rencontre, une emphase a été mise sur la nécessité de renforcer les capacités de toutes les parties prenantes ; c’est-à-dire les chercheurs et les décideurs. L’association des populations locales pour une plus grande efficacité du combat est fortement encouragée durant les échanges.
Pr Flobert Njiokou (UYI, CRID) a présenté le PIIVEC comme un cadre ayant significativement contribué à la formation des jeunes camerounais en leur offrant des projets de recherche et des possibilités de formation à de nouvelles techniques. Ce projet à travers l’initiative TVCAG a permis de réunir tous les acteurs de la recherche sur les maladies à transmission vectorielle pendant trois ans, pour réfléchir sur les sujets prioritaires de lutte. Ceci a abouti au financement de 13 projets opérationnels de recherche donc les résultats sont déjà en train d’être implémentés par les programmes de lutte. Il ne manque de souligner la nécessité de pérenniser cette initiative. Yannick Nkoumou (Breakthrough Action) a fait connaitre différentes approches favorables à l’amélioration de l’utilisation des services de lutte contre le paludisme par le changement de comportement du personnel soignant et des patients eux-mêmes.
Nnamdi Dum-Buo (CRID) va s’attarder sur la nécessité d’un engagement des communautés. Il a insisté sur l’urgence d’engager toutes les parties prenantes ; c’est-à-dire, les autorités administratives, chercheurs, sociologues, populations et même les personnels de santé. Ceci pour une bonne implémentation de la stratégie de « Gene drive » sur le terrain. À sa suite, Fidele Bemadoum a indiqué que la société civile locale a un grand rôle à jouer dans le changement de comportements des communautés ; mais que celle-ci avait besoin d’être impliquée et soutenue. Il a également souligné l’importance de s’assurer que les acteurs de la société civile locale soient impliqués dans la mise en œuvre des interventions de lutte contre le paludisme. Le Pr Cyrille NDO (UD, CRID) a fait une présentation portant sur le renforcement de capacité pour la lutte antivectorielle avec le CRID comme cas d’étude. Il a rappelé la vision et les missions du Centre For Research In Infectious Diseases, présenté les principaux axes de recherche au CRID ; en ressortant la forte collaboration établie entre le CRID et les partenaires aussi bien nationaux qu’internationaux. Il termine en présentant les facilités que le CRID offre pour améliorer la recherche sur les maladies à transmission vectorielle notamment la plateforme de séquençage de nouvelle génération qui a été mise sur pied dans cette institution.